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lundi 3 février 2014

Le LEADERS TAHAR SFAR CO-FONDATEUR AVEC BOURGUIBA DU PARTI TUNISIEN NEO-DESTOUR FUT DE 1925 à 1928 UN ETUDIANT EXCEPTIONNEL.

UN ETUDIANT QUI SORT DE L'ORDINAIRE
1903_1928
      TERENCE: « RIEN DE CE QUI EST HUMAIN NE M'EST ETRANGER... » 

   C'est dans une presqu'île merveilleuse de la côte est de la Tunisie, dénommée depuis la nuit des temps « Cap-Africa » et sur laquelle fut édifiée la première capitale de la dynastie musulmane des Fatimides, Mahdia, que naquit mon père un 12 novembre de l'an 1903 dans une famille dont les origines remontent à la première vague d'occupation ottomane  et qu'on pouvait considérer comme appartenant à la classe moyenne selon la signification et les caractéristiques actuelles de cette catégorie sociale.
   Mon grand père Mustapha notaire, à l'époque, bien connu et respecté dans sa ville, choisit pour son deuxième fils le prénom de Tahar, «  le pur », après avoir donné la préférence pour son aîné celui de Sadok «  celui qui dit la vérité » respectant ainsi  une symbolique qui mettait en exergue dans le choix des prénoms les valeurs sociales qu’on souhaitait promouvoir dans la communauté.
   La famille Sfar, tant sa branche « tunisoise » que sa branche « mahdoise » serait – selon les informations recueillies auprès de mon grand-père maternel Mohamed Sfar - la descendante d'un officier d’origine macédonienne de l'armée turque (l'équivalant d'un général de corps d'armée ) qui fit partie des premiers officiers de l'occupation ottomane et qui fut en garnison pendant quelques temps à Tunis, où il contracta un premier mariage avant d'être affecté à la défense de la ville de  Mahdia où il résida le plus clair de sa vie, contractant d'autres mariages avec des femmes du pays et effectuant des missions de pacification ou de reconnaissance sur l'ensemble du sud tunisien plus particulièrement, avec semble t-il, des incursions jusqu'en Tripolitaine (actuelle Libye) où il aurait  guerroyé avec succès.
L’historien tunisien Ahmed Ibn-Abi-Diaf ,  dans son célèbre ouvrage « Ithaf Ahli azaman » achevé en 1872, signale parmi les péripéties sanglantes et les querelles pour le pouvoir des premières années de l’occupation de la Tunisie par les troupes ottomanes, la rivalité qui a opposé «  Othman Dey » prétendant au pouvoir dans la capitale à « Sfar Dey » aux alentours de l’année 1591.( Deuxième partie du Tome I, page 28 de l’édition du Ministère tunisien des affaires culturelles préfacée par le Ministre de la culture A. Hermassi.)
   Les  familles Sfar sont nombreuses dans la ville de Mahdia, à tel point, qu'il a fallu ajouter un deuxième nom pour distinguer des familles dont le lien de parenté précis avait disparu tant de l'état civil que de la connaissance des anciens généalogistes.
   J’ai gardé des souvenirs d’enfance très vivaces notamment  de mon grand-père maternel, Mohamed Sfar, notaire également de profession, qui, parfois sans s'en rendre compte, se laissait aller à grommeler en prononçant quelques mots en langue turque, quand, enfants turbulents, nous finissions, mes cousins et moi, par le mettre hors de lui par notre tintamarre en jouant dans la cour de sa maison de Rédjiche, dans la banlieue de Mahdia.
   Mon grand père paternel Mustapha, formé exclusivement à l'Université Zaytuna de Tunis était comme la grande majorité des  tunisiens à l'époque très attaché à nos traditions arabo-musulmanes, ce qui l'a amené à veiller, souvent avec sévérité, à donner à ses enfants une éducation respectueuse des valeurs que la communauté des « Mahdois » considérait devoir être celle de l'honnête homme,citoyen modèle pour la Cité. Il a tenu à apprendre lui-même, à  ses sept enfants (quatre garçons et trois filles ) les premières « sourates » du Coran avant de les inscrire dans le « Kuttab » du quartier, petite salle jouxtant la salle de prière d’une petite mosquée, et qui faisait office d'école maternelle. Le répétiteur ou «  Muadib » de Tahar Sfar au « Kuttab » fut le cheikh Hassen Fodda, une personne de solide culture islamique qui habitait dans la même rue que celle où se trouve la maison de mon grand-père.
   Ma grand mère « Aïcha », dont l'origine  est également turque (elle est née d'une famille dénommée jusqu'à ce jour « Turki »), avait un don particulier pour raconter à ses enfants, puis à ses petits enfants les versions pudiques des comtes des "milles  et une nuit" les faisant vivre ainsi un monde merveilleux et contribuant, sans le savoir, à développer en eux la faculté du rêve et celle de l'imagination créatrice.
 A l'école primaire « franco-arabe » de l'époque mon père sortant d'un cocon familial très protecteur a eu, semble t-il, quelques difficultés d'adaptation dans un nouvel univers où il découvrait, pour la première fois, les contradictions entre les messages éducatifs inculqués par ses parents et la réalité des comportements humains, même dans celle du monde de l'enfance. Il a eu la chance d'avoir parmi ses enseignants à l'école le Cheikh Mohamed Abdessalem, le père de M Ahmed Abdessalem qui fut le premier recteur de l'Université de la Tunisie indépendante. Cheikh Mohamed Abdessalem qui enseignait à l'époque surtout "l'éducation islamique "expliquait déjà à ses élèves que l'Islam était avant tout tolérance ,ouverture d'esprit, encouragement à la maîtrise du Savoir,et attachement à une éthique porteuse de Valeurs Universelles;déjà il avait le courage de dire à ses élèves que  l'islam devait constamment faire l'objet de réflexions des "Fakihs" pour l'adapter à l'évolution de la société et notamment au progrès de la science.Plusieurs générations de Mahdois transitant par l'école primaire de Mahdia,sont redevables au Cheikh Mohamed Abdessalem de cette foi sereine et tolérante, de cette très forte conviction en une impérieuse nécessité de recourir à "El-Ijtihad" pour que l'Islam ne devienne pas un prétexte à l'archaïsme , au sous développement , à l'asservissement de la pensée et au fanatisme.
  Tahar Sfar ne s'est révélé à l'école que tardivement nous,ont rapporté, certains de ses instituteurs et de ses camarades de classe , et ce n' est qu' en année terminale   de l'école primaire de Mahdia que,Tahar Sfar s'est brusquement distingué par ses bons résultats scolaires: Aussi c'est avec panache  qu'il accéda à la première année de l'enseignement secondaire du Collège Sadiki où il effectua un cursus remarquable se faisant attribuer  dans les différentes matières enseignées des Prix d'honneur. Après le Diplôme de fin d'études du Collège Sadiki, Tahar Sfar a été inscrit au Lycée Carnot de Tunis  à la première année du baccalauréat. Sa maîtrise de la langue arabe et celle de la langue française s'affirmèrent davantage et sa grande passion pour la lecture des grands maîtres tant de la pensée arabe que  française lui fit découvrir précocement la grande richesse des idées qui agitaient les élites du Monde. Cela fut possible particulièrement grâce aux facilitées qu'il a obtenu auprès de la bibliothèque nationale et de la bibliothèque de l'Association la Khaldunya toutes deux au souk El Attarine.
Tahar Sfar quitta le lycée Carnot un an avant Habib Bourguiba, avec un baccalauréat série philosophie et, malgré sa participation à un voyage d'études et de sensibilisation à Paris sous la conduite de ses professeurs du lycée et nonobstant les recommandations unanimes de ses maîtres pour continuer ses études à la Sorbonne, il répond au désir de mon grand-père et accepte la proposition qui lui était faite, à sa sortie du lycée, d'assurer  la direction de l'Ecole "El-Arfania"à Tunis, rue El-Ourghi, pour y engager de profondes réformes.
   Il s'agissait d'une école libre crée par la Société Musulmane de Bienfaisance et dont  certains membres éminents du conseil d'administration, comme, Taïeb Radouane et El-Arbi Mami, n'étaient satisfaits ni des résultats scolaires ni de la gestion administrative et financière. Un des principaux membres de ce conseil, Si El-Arbi Mami  (le parent où peut être même le père du martyr le docteur Abderrahmen Mami qui fut assassiné par la "main rouge" pendant les années 1950) une personnalité très estimée à la Marsa, ami de mon grand père Mustapha et qui fut une sorte de correspondant très attentionné pour mon père pendant ses études à Sadiki et à Carnot à telle enseigne qu'il le considérait comme son fils, influa plus particulièrement sur lui, pour achever de le convaincre de répondre favorablement à cette sollicitation qui lui permettait de mettre en pratique ses idées sur la réforme de l’enseignement. 
  Tahar Sfar pensait déjà à l'instar de la grande majorité des intellectuels tunisiens de l'époque, que l'avenir de son Pays passait par le développement d'une éducation "moderne" auprès de toutes les couches de la population, il était plus particulièrement influencé par la pensée et les idées du visionnaire "Ibn Khaldoun" sur l'éducation ,la formation ,les sciences et les déficiences de l'enseignement dispensé, en son temps dans le monde musulman ; il accepta de sacrifier momentanément la poursuite de ses études supérieures pour diriger l'école libre El-Arfania et mettre ainsi en pratique ses idées sur les réformes de l'éducation. Dés le premier trimestre de l'année scolaire les principaux membres du conseil constataient avec satisfaction les changements intervenus et les progrès réalisés à l'exception de ceux qui trouvaient peut- être leurs comptes dans les errements de l'ancienne gestion et qui ne manquèrent pas de tenter une cabale contre celui qui apportait de la transparence notamment dans la gestion financière de l'établissement. Cela fut l'occasion pour mon père d'être confronté, pour la  première fois de sa vie, à l'ingratitude des partisans du statut-quo.. Cette cabale fut également l'occasion  pour les "réformateurs", qui ont fait appel à mon père, de rédiger et d'éditer un petit fascicule en langue arabe ayant pour titre "Pages blanches et pages noires", explicitant l'intérêt des actions engagées avec succès  à la satisfaction quasi-générale, même celle des élèves et cela malgré les efforts supplémentaires que leur demandaient les nouveaux programmes d'enseignement. L’appui des membres consciencieux du conseil permit à Tahar Sfar de surmonter sa première déception dans la vie et de mener à terme son action de mise en place et de démarrage des mesures d'assainissement et de modernisation."Nulle décision, nous dit André Démeerseman dans son livre sur Tahar Sfar, n'est plus révélatrice du désintéressement fondamental et du besoin de dévouement de Tahar Sfar...Se voyant encouragé dans son dessein par des hommes qui appréciaient sa double culture et sa science pédagogique, ce jeune homme de 19 ans se révéla un directeur d'école étonnant. Avec un instinct sûr, il soigna les plaies de l'organisation: niveau culturel des instituteurs,  administration, programmes et méthodes.
   Des instituteurs, il exigea les connaissances, les diplômes (Pour les instituteurs par exemple: le tatwie, le diplôme d'études secondaires de la Grande Mosquée ou le baccalauréat) et la valeur morale. Il leur garantit en contre partie un traitement convenable. Jusque là, à cause de la modicité de ses ressources et de son orientation vers l'aide matérielle, la Société de bienfaisance avait cherché des instituteurs"à bon marché". Des élèves, il réclama un effort de pensée personnelle et leur imposa un programme de langue arabe (langue, littérature, coran, exégèse, hadiht), de langue française, de sciences positives. Bref il mit en jeu les ressources inépuisables de son talent. Tahar Sfar se maintint à sa place de directeur jusqu'en juillet 1924.Le 24 février, il présentait  un rapport qui eut un certain retentissement; mais il ne tarda pas à donner sa démission, parce qu'il ne jouissait plus de la liberté nécessaire à sa fonction...Au total, le bilan était loin d'être négatif: cette expérience de dévouement librement choisie lui avait permis de mieux tracer sa voie."Nous pouvons ajouter ,à ce que dit Demeerseman, que les idées Ibn Khaldoun et ses nombreuses réflexions sur le système éducatif ont été d'un grand secours pour Tahar Sfar dans cette mission de formation, lui qui aimait lire et relire ce philosophe arabe du XIVe siècle qui fut bien en avance sur son temps et qui, par notamment ses réflexions pédagogiques et méthodologiques, contribua à développer cette prise de conscience collective des élites tunisiennes dans l'importance d'une éducation rationaliste et ouverte sur la science et la culture.
Avant de se rendre à Paris, Tahar Sfar  ne se limite pas à ses activités éducatives, il participe également avec Mohamed Lasram et Mustapha Kaak à la réactivation de l’Association des Anciens de Sadiki et à la création en mars 1924 avec Mhamed Ali El-Hami, Tahar Haddad et Habid Jaouahdou de la première coopérative tunisienne dont il rédigera les statuts….
   Conseillé ,toujours, par ses professeurs-qui avaient déjà recommandés depuis 1922 de l'envoyer en France ,avec une bourse du Collège Sadiki,- et très encouragé par Habib Bourguiba,qui était déjà à Paris depuis 1924,Tahar Sfar finit par se rendre à Paris en  Novembre 1925, pour suivre aussi bien les cours de la licence en littérature française que ceux de la licence en droit ainsi que les cours de l’Ecole libre de Sciences Politiques.
 Rien ne vaut la lecture des souvenirs de Tahar Sfar rédigés pendant son exil, en 1935, dans le Sud tunisien à Zarzis pour restituer au lecteur l'état d'esprit et la psychologie de cet étudiant pas ordinaire qui a su mener à bien des études assez  diversifiées et nourrir sa grande passion pour des lectures très  éclectiques tout en livrant libre cours à son penchant naturel pour la méditation et même on peut le  dire pour la rêverie, tout cela avec des activités politiques qui se dessinaient déjà à travers sa participation aux travaux préparatoires du groupe constitutif de l'Association des Etudiants Musulmans Nord- Africains «  AEMNA »,- dont il fut le premier vice-président- et à travers son assiduité aux nombreuses conférences de caractère politique, économique et culturel dont foisonnait le Quartier Latin: "Assis sur un tertre couvert de verdure, de fleurs jaunes et de coquelicots écarlates (il s'agit de la campagne de la ville de Zarzis) ,je me suis amusé à faire naître mes souvenirs de vie parisienne;nous raconte Tahar Sfar, je me rappelais, nous dit‑il, mes longues promenades le long des boulevards (Sébastopol,Observatoire,Denfert-Rochereau,etc...),  mes rêveries au jardin du Luxembourg, au jardin des plantes, au Parc Montsouris, les noms des hôtels que j'ai habités tour à tour ,leur situation, la position de la chambre que j'occupais dans chacun de ces hôtels, la disposition du mobilier dans ces chambres, mes voyages à Versailles, au Bois de Boulogne, à Antony ,à Bourg la Reine, à Robinson, mes flâneries dans les rues, mes visites aux musées, mes veillées aux cafés de Montparnasse. A Paris j'étais partagé entre l'étude et la flânerie;je vivais constamment dans l'air surchauffé des bibliothèques (Faculté de Droit, Sciences Politiques, Sainte Geneviéve, etc..)ou dans l'atmosphère des rues et des routes;il m'arrivait souvent la nuit de traverser Paris ,de marcher dans cette grande ville, au hasard, sans but, sans destination ,sans itinéraire ,passant des rues étroites et obscures aux grands boulevards étincelants de lumière ,pleins d'une foule bruyante, du bruit strident des véhicules, Quand il fait beau temps ,ce sont de longues promenades au dehors, dans la banlieue, en pleine campagne ,ou au milieu des chantiers ouvriers.   Mes changements fréquents d'hôtel m'ont permis de connaître différents quartiers, différents modes d'existence. Je ne détestais rien de plus que de passer mon temps dans un café ou un dancing; quand je n'étudiais pas, j'aimais à me promener, à marcher; et très souvent, il m'est arrivé d’étudier, de réviser mes cours en marchant, au milieu de la cohue et du bruit de la rue."  Un peu plus loin Tahar Sfar nous cite le mon des hôtels et l'adresse des chambres où il a séjourné: «A Antony et à Bourg la Reine avec ses camarades Bahri Guiga et Aloulou, à la Cité Deutsch de la Meurthe où il occupe la chambre libéré par son camarade Habib Bourguiba.




Tahar Sfar exilé à Zarziz au sud tunisien en  janvier 1935
Sfar est enveloppé d’un burnous et est entouré des membres du 3eme bureau politique du Néo-Destour venant lui rendre visite de Tunis.

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.On voit, nous dit toujours Tahar Sfar, que outre mes pérégrinations et promenades mes études me transportaient de  la Faculté de Droit, à la Faculté des Lettres, Place de la Sorbonne, et de celle-ci à l 'Ecole des Sciences Politiques, Boulevard Saint-Germain, rue Saint Guillaume; j'allais aussi quelquefois, au cours de la 3e année, à l'Ecole des Langues Orientales."Mes distractions furent, outre les promenades, le théâtre et quelquefois le cinéma;j'ai assisté à des représentations de la Comédie Française,du Claye, du Théâtre de la Renaissance, de l'Ambigu, du Théâtre des Variétés de l'Odéon, du Gymnase et de quelques autres théâtres;jamais je n'ai mis les pieds dans un dancing ou un casino ,sauf une seule fois au Moulin Rouge...;je regrette de ne pas être allé aux Folies Bergères, où , dit-on, il y a des spectacles ravissants".
A Paris, Tahar Sfar hésita pendant sa première année universitaire entre une carrière de professeur de lettres et de philosophie, qui semblait mieux correspondre à sa vocation naturelle, à ses dons pédagogiques innés et à sa passion intense pour la lecture, et une carrière dans le Barreau, où le métier d'avocat lui offrirait plus d'occasions d'être en contact avec le vécu quotidien de ses concitoyens, et d'être également plus disponible, et mieux préparé à un combat dont il entrevoyait déjà les prémisses et esquissait avec Bourguiba les  grands axes, mettant déjà l'accent sur l'importance de l'exclusion de  l'utilisation de la violence en politique ,et essayant, aussi, de tirer des leçons des efforts de tous ceux qui les ont précédé dans la voie des réformes et de la lutte politique pour le rétablissement de la souveraineté de la Tunisie. On retrouvera les traces de cette conception des modalités de la lutte dans certains des nombreux articles que publiera Tahar Sfar de 1931 à 1938 notamment dans" La Voix du Tunisien" d'abord, dans "L'Action Tunisienne" ensuite:
A titre d'exemple citons d'ores et déjà ces deux extraits assez significatifs:
-         sous le titre "La Souveraineté Tunisienne", Tahar Sfar nous dit "...Le monde, certes, n’est pas gouverné par la Raison et par la logique, et ici comme en beaucoup d'autres choses, ce sont les forces en présence qui ont déterminé l'évolution du protectorat et qui ont imprimé aux institutions tunisiennes leur véritable direction. Par les textes aussi bien que par la pratique quotidienne,la souveraineté a été amputée de ses attributs essentiels et vidée pour ainsi dire de sa propre substance; de multiples atteintes lui ont été portées, soit d'une manière nette et précise à la suite de lois qui consacrent de véritables amputations, soit d'une façon insensible et progressive par le phénomène de l'usure des institutions tunisiennes et leur dépréciation....Et il appartient alors au peuple protégé, conscient de ses droits, d'élever la voix, pour rappeler à la nation protectrice ses engagements et lui demander de veiller à l'application des traités qu'elle a promis solennellement de respecter."
-           -Sous le titre encore de "La Souveraineté Tunisienne en Droit".Tahar Sfar, nous dit aussi, en citant des juristes français:" En ce qui concerne la Tunisie,si l'on se rapporte aux deux traités du 12 mai 1881 et du 8 juin 1883,on constate qu'en droit, l'autorité de la puissance protectrice est des plus restreintes et qu'elle ne s'exerce que sous une forme très atténuée, le Traité du Bardo laissait au Bey son entière autorité au point de vue intérieur, et le
Traité de la Marsa n'est venu la modifier qu'en la limitant par le droit accordé à la France de mettre en oeuvre les réformes qui lui paraîtraient utiles, mais avec obligatoirement, l'assentiment du Bey.. »
  Dés la fin de la première année universitaire,( juin 1925) Tahar Sfar optait pour  une carrière dans le barreau tout en n'excluant pas, pour le futur, l'enseignement surtout du Droit et de l'Economie Politique .Il nous dira plus tard dans ses mémoires d'exil à Zarzis :"En m'analysant assez profondément, il me semble que je suis composé d'une personnalité double et juxtaposée ,l'une éprise de vie rangée, concentrée, méditative, amoureuse de solitude, de calme, de recueillement; l'autre au contraire emportée par la fièvre de l'action, pleine d'ambition ,prise par le désir de bâtir, de vivre d'une vie intense, de s'étourdir par l'activité débordante, les relations, les fréquentations, de se multiplier et de se diversifier en mille nuances et de mille manières. Et tour à tour dans mon existence passée, soit à Mahdia, soit à Tunis, soit en France, j'ai été l'une et l'autre de ces personnes-là".
 Habib Bourguiba ne nous a pas parlé  des idées et de la vision pour l'avenir de la Tunisie dont il avait largement débattu avec son camarade d'études et surtout pas des différences notoires entre leurs deux personnalités et cela, nonobstant, la profonde connaissance qu'il avait de la pensée et de l'itinéraire intellectuel de celui qui resta son fidèle ami dans l'adversité même lorsqu'il ne partageait pas certains de ses choix, ou  certaines de ses initiatives: Tahar Sfar, pour sa part, a souvent  signalé à mon grand père Mustapha que Bourguiba semblait,    pendant la période de leurs études du moins, apprécier la confrontation libre  des idées et qu'il se disait complètement d'accord avec lui pour faire en sorte que le combat politique qu'ils comptaient entreprendre ensemble devrait être une occasion privilégiée pour l'enracinement de mentalités propices au développement d'une authentique démocratie dans une Tunisie maîtresse de son destin; et ce n'est pas sans raison profonde que Tahar Sfar avait  introduit son discours d'ouverture du Congrès constitutif du "Néo-Destour"à Ksar-Helal en 1934 en insistant sur le caractère fondamentalement démocratique que doit revêtir l'action du nouveau parti «  à l'instar des partis réellement démocratiques de certains pays occidentaux ».
 A ce stade de notre narration, nous pouvons souligner déjà, qu'Edgar Faure rapporte dans ses mémoires (tome 2 pages 192 et 194) que lors de la première audience qu'en tant que chef du gouvernement français il accordait à Bourguiba un jeudi du 21 avril 1955, l'entretien avait commencé  par une introduction dont Tahar Sfar était le centre. "Notre conversation, nous raconte Faure, trouva d'emblée son point d'harmonie: nous avions, l'un et l'autre, fréquenté à la même époque la faculté de droit de Paris, quoique avec un certain décalage entre nos années de scolarité;...je lui parlai de son compatriote Tahar Sfar qui collectionnait les prix dans les concours de fin d'année où je  récoltais d'honorables accessits. Tahar Sfar n'avait pas retrouvé dans sa carrière professionnelle le rythme bondissant qui l'avait soulevé dans ses études. Avocat à Tunis, il y végétait  car les grandes causes vont dans, les cabinets français.".
   Nous nous souvenons, tous, jeunes et adultes tunisiens, à l'époque, de cet entretien historique du 21 avril 1955 à Paris entre E. Faure. Chef du gouvernement français et H Bourguiba chef du Néo-Destour;entretien destiné à tenter de dépasser les réserves qui bloquaient encore les négociations, sur certaines dispositions du texte des conventions, qui ont constitué ce qu'on a dénommé"protocole d'accord" de l'autonomie interne de la Tunisie. Habib Bourguiba était alors pour la première fois reçu officiellement, par le chef du gouvernement français, quoique encore uniquement chef du Néo-Déstour, ce qui devait signaler déjà a tous sa qualité de "décideur incontournable pour les grands changements qui se préparaient dans les relations Tuniso-Françaises."  Quand en 1985, alors que j'étais ministre de la Santé, Edgar Faure,de passage en Tunisie,où il aimait souvent venir, me remis un exemplaire dédicacé du deuxième tome de ses Mémoires il ne manqua pas de me signaler que jusqu'à une date relativement récente il  ignorait les circonstances de la mort de mon père et il ne comprenait pas pourquoi Bourguiba ne lui en avait pas parlé alors que le cursus universitaire et les grandes qualités de "cette grande figure tunisienne" ont été évoqués à plusieurs reprises en préambule de ce premier entretien historique avec Bourguiba. E.Faure semblait persuadé à l'époque que Tahar Sfar encore vivant devait jouer un rôle important dans la Tunisie nouvelle. Je laisserai le soin, aux historiens de métier, d'expliquer les raisons certainement d'ordre psychologique qui ont fait que Bourguiba n'a jamais parlé ni en public ni en privé du contexte dans lequel Tahar Sfar est mort sauf pour nous dire "combien il regrette d'avoir entraîné ce grand penseur avec lui dans la tourmente politique". A l'occasion de ses diverses conférences sur son combat politique alors qu'il était chef de l'Etat, Bourguiba a rarement témoigné objectivement de l'apport et du rôle de ses compagnons de lutte, il s'est même permis d'affirmer dans ses diverses déclarations publiques que Tahar Sfar, à l'instar du Docteur Mahmoud Materi , de Bahri Guiga, du cheikh Tâalbi et d'autres militants, aurait été en quelque sorte, un témoin à charge , pendant les interrogatoires du procès des responsables du Néo-Destour après les  événements du 9 avril 38. Ces affirmations se fondaient sur une interprétation partisane des faits et sur la base d'une lecture, à mon avis, quelque peu subjective des procès verbaux des interrogatoires de ce procès; Bourguiba a même affirmé que ses camarades de combat se sont reniés devant le juge d'instruction, alors qu'une lecture attentive des procès verbaux montre avec évidence que les camarades de Bourguiba n'ont fait que confirmer, ce qui était connu de tous à l'époque, à savoir, les différences de point de vues qui sont apparues avec Bourguiba ainsi que d'autre camarades de lutte sur la manière de conduire l'activité du Parti, plus particulièrement, avant et pendant les événements du 8 et 9 avril 38.  J'apporterai dans le chapitre suivant de cet ouvrage un témoignage qui pourrait faire l'objet de débats sereins et ouverts à d'autres interprétations que celles que j'apporte, pour faire un peu plus de clarté au sujet des tragiques événements qu'a vécu la Tunisie le 9 avril 1938 et sur lesquelles les historiens et même certains militants du Néo-Destour,à juste titre d'ailleurs, continuent à se poser encore plusieurs questions."S'agit-il, en ce qui concerne la journée du 9 avril, d'un mouvement de révolte spontané récupéré par le parti? S'agit-il, plutôt, d'une manifestation bien organisée et encadrée par le parti comme il savait et pouvait le faire, surtout depuis sa création en 1934 et comme cela a été le cas d'une manière indiscutable pendant la journée du 8 avril 1938? S'agit-il d'une action mûrement réfléchie, décidée par Bourguiba sans l'accord, de l'ensemble des membres du Bureau Politique, s'inscrivant dans une stratégie pour le long terme et dont le parti devait assumer toutes les conséquences…..?
 Les procédures démocratiques pour décider de l'orientation du Parti et du programme de ses activités, du moins, les plus importantes,- procédures que tous les responsables du bureau politique de l'époque, s'étaient engagés solennellement à observer,- ont -elles été respectées pour le déclenchement des manifestations, et surtout celles du 9 avril, s'il s'avère que celle-ci avait été organisée? Autant, de questions qui méritent encore la poursuite des investigations, des réflexions, et des recherches me semble t-il.
  L'ancien syndicaliste, l’ancien chef scout et le sympathique éducateur que fut notre camarade Boubaker Azaïz se pose publiquement, jusqu'à une date toute récente, des questions similaires dans les colonnes de la revue "ESSABIL" l'organe de langue arabe des scouts tunisiens dans un numéro de l'année 1996 sous le titre"Autour des événements du 9 avril.un point d'interrogation?"...Nous y reviendrons...
 Mon père passait ses vacances universitaires souvent dans sa ville natale Mahdia, il ne manquait jamais de répondre notamment aux invitations de l'association culturelle El-Nachia El-Adabia, qui à été crée dés l'année 1922, pour organiser et animer des causeries et des conférences aussi bien de caractère littéraire qu'historique et scientifique, il expliquait entre autre à ses cadets ce qu'il considérait être les facteurs essentiels et déterminants du progrès des collectivités humaines en mettant toujours l'accent sur l'importance de l'enracinement dans les valeurs universelles, du civisme collectif, de la nécessaire maîtrise des sciences, et de l'esprit d'organisation et de méthode. Il rappelait, dans le détail, l'apport arabo-musulman au savoir universel et explicitait les voies qui, selon lui peuvent conduire notre pays vers un progrès authentique. .Parfois Habib Bourguiba venait rejoindre son camarade à Mahdia dans la maison de mon grand père dans la proche banlieue de la Médina dans un quartier dénommé à l'époque "Le Rémel" et dans la rue qui porte aujourd'hui, le nom de Jean Roux, un journaliste et écrivain français qui aida beaucoup par sa plume la Tunisie et Bourguiba dans la phase ultime de libération du Pays.
  Quoique de personnalité, et de tempérament fort différent, Tahar Sfar et Habib Bourguiba avaient une grande et sincère estime l'un pour l'autre; ils se complétaient souvent dans les analyses qu'ils effectuaient tant sur l'actualité politique en Tunisie qu'en France. Pendant toute la période couvrant leurs études à Paris ils avaient en effet très souvent de longues discussions ,tant à Paris que pendant leurs vacances à Mahdia sur des thèmes très divers et plus particulièrement sur la situation politique, économique et sociale qui prévalait en Tunisie ainsi que sur les grands courants qui agitaient le monde en ce premier quart du XXe siècle.
   Certains témoins des" causeries" des deux amis nous ont signalé le net ascendant qu'avait Tahar Sfar sur son camarade en raison notamment de son érudition, de sa grande capacité d'analyse et de synthèse, de son honnêteté aussi bien intellectuelle que matérielle et de l'authenticité de son abnégation envers son pays. Cet ascendant semble avoir trouvé son apogée quand Tahar Sfar avait été amené à user, avec succès, de toute sa force de persuasion pour convaincre son ami de ne pas suivre "les bons conseils de ceux qui lui recommandaient de ne pas s'encombrer d'un enfant"(qui fut son fils unique) alors qu'il n'avait pas encore achevé totalement ses études et qu'il se préparait à un long combat. Habib Bourguiba ne nous a rapporté de ses entretiens avec Tahar Sfar que certaines des plaisanteries qui égayaient parfois leurs veillées et leurs promenades en mer à Mahdia; il aimait plus particulièrement répéter chaque fois que le nom de Tahar Sfar était évoqué en sa présence-- pour détendre l'atmosphère autour des personnes qu'il invitait à sa table de Président de la République-- ,comment il s'est employé à démystifier l'admiration qu'aurait eu mon grand père pour une guérisseuse à Mahdia qui soignait ,à l'époque ses visiteurs malades en faisant, chaque fois, sortir de  leurs yeux ou de leurs doigts  soit des débris de verre soit des vers de terre: Bourguiba raconte qu'il eut l'idée de se faire blesser légèrement un doigt et s'est rendu en compagnie de mon grand père et de mon père à la consultation de celle qu'on dénommait alors "Essghaïra" et qui comme à l'accoutumé fit sortir  du doigt de Bourguiba les habituels débris ; devant l'hilarité générale notre guérisseuse sans être désarçonnée le moins du monde affirma à ses consultants "que c'était certainement de très anciens morceaux de verre et Dieu dans grande miséricorde a bien voulu en ce jour heureux en débarrasser le corps de Bourguiba pour son grand bien, et pour lui assurer une longue vie".    
   Tahar Sfar, pour sa part, quand en famille on évoquait le nom de Bourguiba, aimait  rappeler, me disait souvent mon grand père Mustapha, l'importance qu'avaient revêtu pour lui ses débats d'idées très variés et ses discussions libres et très animées tant avec Habib Bourguiba qu'avec ses autres camarades notamment pendant ses études à Paris, car disait-il, “ la vérité est une quête permanente et j'éprouvais toujours une grande sérénité chaque fois que j'avais l'occasion de confronter mes idées et mes impressions avec les autres. ”. Certains de ses camarades disaient de Tahar Sfar qu’il “ philosophait trop ” !
   A Demeerseman dans son livre sur Tahar Sfar " Là-bas à Zarzis et maintenant" édité par la Maison Tunisienne de l'Edition en 1969 nous dit ceci:" Que Tahar Sfar soit un philosophe, personne n'en doute, mais qu'on veuille le faire passer pour un poète, l'affirmation pourra paraître paradoxale. Elle correspond pourtant à la stricte vérité. Si l'on admet avec André Rousseau, que tout homme est un poète possible, on peut discerner aisément ce que sont chez Tahar Sfar les conditions qui prédisposent à la conception lyrique: L'IMAGINATION ET LA SENSIBILITE.  L'imagination lui permet d'évoquer le passé en GRANDES FRESQUES MAJESTUEUSES et d'avoir LA VISION PREMONITOIRE DE L'AVENIR. La sensibilité lui donne d'être péniblement et douloureusement affecté par l'ingratitude et l'incompréhension des hommes, Il décrit avec une émotion communicative la misère du peuple tunisien, il a l'intuition fulgurante  du tragique de la condition humaine. Cependant la fidélité à son propre témoignage, si elle nous permet de croire qu'il a aimé la poésie, invite à ne pas le classer dans la catégorie des artistes purement imaginatifs. Sa pente l’entraîne, avoue-t-il, vers la philosophie, la science. Mais est-ce là un argument décisif? Que chez lui les images se spiritualisent et se transforment en idées qui s'adressent à l'intelligence, serait-ce là un indice probant de l'absence d'une vocation poétique? C'est le contraire qui est vrai. UNE PENSEE  AUSSI PUISSANTE QUE LA SIENNE CAPABLE DE REPRENDRE CONTACT AVEC LES DONNEES ESSENTIELLES DES PROBLEMES, D'ATTEINDRE LE COEUR DES CHOSES, N'ETAIT-ELLE PAS NORMALEMENT APPELEE A LA COMPREHENSION POETIQUE DE LA VIE?  POUSSÉ QU'IL ETAIT VERS L'OBSERVATION INTERIEURE? SOUCIEUX PAR SURCROIT DE VALEURS VRAIES, ANXIEUX JUSQU'A L'ANGOISSE DE LA CONDITION HUMAINE, IL N'ATTENDAIT EN VERITE QU'UNE CIRCONSTANCE FAVORABLE POUR EXPRIMER CE QU'IL PORTAIT EN LUI...".
  Il serait fastidieux et difficile de donner une liste complète des écrivains, penseurs, historiens, philosophes et spécialistes d'autres disciplines qui ont influencé la pensée et le comportement de Tahar Sfar tant les  lectures dont il a laissé la trace souvent sous forme de résumés succincts, étaient nombreuses, mais on peut en toute certitude affirmer qu'outre les grands classiques du"siècle des lumières" comme Montaigne, Rousseau et Voltaire et outre les grands romantiques, le philosophe Henri Bergson (1858-1942) et l'historien, père de la sociologie moderne, Ibn-Khaldoun (1332-1406) pour ne citer que ces deux-là eurent une influence non négligeable sur sa  conception profondément humaniste de l'évolution de la Cité idéale, pour laquelle il voulait combattre dans son pays dés la fin de ses études. La vision universaliste khaldounienne de la société humaine tel que décrite dans la Muqaddima constitue une sorte de trame de fonds de la pensée de Tahar Sfar.
  Il aimait, en dehors d'Ibn-Khaldoun et de Bergson,   lire et relire pour le plaisir nous disait-il, Tawq al-hamàma d'Ibn Hazm , Kalila wa Dimna d'Ibn Al-Muquaffa, Al-Fawz-al-Asgar de Miskawayh ainsi que le journal de route de ce grand voyageur arabe que fut Ibn-Battouta, qui nous a laissé un incomparable panorama de l'Univers au 14é siècle. Tahar Sfar aimait également revenir souvent aux oeuvres D'EL-Jahid, Del-Mouttannabi, d'Abou-Firas El-Hamdani...., de Pascal, de Victor Hugo, de Tolstoï, de Musset....; Il montrait, en matière de pensée politique, une grande admiration pour les idées et le style de combat préconisé par Gandhi en Inde et il s'est laissé imprégner par les premiers théoriciens de "la science politique" que fut Montesquieu, Tocqueville, Sièyes, John Stuart Mill et d'autres encore. Ce sont ces penseurs qui lui ont fait croire en l'impératif de la formation dans son pays pour sa libération "du citoyen actif, vertueux, disponible, intéressé aux affaires publiques et participant actif".
 Tahar Sfar a, certes, lu le "Prince" de Machiavel, mais il a été révolté par le cynisme de ce conseiller-penseur, il avait replacé les" recettes et conseils" de l'éminence grise des Médicis dans le contexte de leur époque de la" République de Florence" dominées par les intrigues et les conflits entre principautés ; il a toujours cru, peut être naïvement, que le processus démocratique-aussi imparfait qu'il soit- qui commençait à se développer dans le monde devait conduire inéluctablement sur le long terme à la négation du « Machiavélisme » que beaucoup d’hommes politiques érigent encore hélas en " art de gouvernement".
  Tahar Sfar était profondément convaincu que l'humanité devait progresser notamment par la réhabilitation de la morale dans l'activité politique, il ne pouvait pas concevoir de progrès authentique et durable dans la société sans le triomphe de la vertu.
 Tahar Sfar, nous a laissé dans ses cahiers de notes, des traces des cours qu'il avait suivi à Paris, ainsi que les noms de certain de ses professeurs: Nous savons qu'il a suivi, en 1927, le cours intitulé "la vie politique et le rôle de l'Administration" de M Préhat, à l'Ecole des Sciences Politiques, comme il a suivi les cours, de M Le Fur en Droit Public International, celui de M Jéze en Droit Public, celui de M Capitant en Droit Civil, celui de M Truchy en Economie Politique, celui de M Berthélemy en Droit Administratif et celui de M Deroy en Finances Publiques à la Faculté de Droit; il a également assisté à certains cours sur la psychologie de l'art du professeur Henri Delacroix à la Sorbonne. On sait que J-P Sartre présenta en 1927, sous la direction du professeur Delacroix un diplôme d'études supérieures intitulé"l'Image dans la vie psychologique: rôle et nature", Tahar Sfar s'est peut être ainsi trouvé parfois assis, sans le savoir sur les bans des mêmes  amphis que le futur grand philosophe et romancier français qui était de deux ans son cadet.
 Pour mieux saisir les convictions, la pensée, l'itinéraire intellectuel et politique de Tahar Sfar il parait  utile, voir nécessaire de se remémorer le contexte général de l'époque, à travers les événements les plus importants que vécu notre région, la grande Europe et le reste du Monde, plus particulièrement, pendant la période du séjour de Tahar Sfar à Paris.
  Cette période fut en effet, comme les précédentes, riche en signes annonciateurs de bouleversements géopolitiques plus particulièrement en Europe, bouleversements qui ne pouvaient pas dans le court et moyen terme ne pas avoir de répercussions sur notre région.
 Comment peut-on qualifier cette période, 1924-1928 pleine d'ambigüités et qui constitue une sorte d'aboutissement des efforts de reconstruction et de rattrapage des années de guerre?Les discordances de la situation économique des pays occidentaux paraissent, pendant cette période, déroutantes mais globalement le rattrapage  semble se réaliser, aux Etats-Unis comme en Europe, le secteur immobilier joue le rôle de locomotive, les nombres de logements construits atteignent des records; de même, l'augmentation exceptionnelle de la productivité dans les industries françaises notamment semble avoir permis de combler le retard  accumulé depuis la veille de la guerre. La période reste caractérisée toutefois par la fragilité de la solidarité des Alliés et par des divergences sur l'épineux problème des réparations et des dettes de la guerre.   L'ébranlement des impérialismes européens confirme la remise en cause de l'hégémonie de l'Europe sur le monde et la diffusion des idées nouvelles dans les pays sous régime colonial laissent entrevoir des possibilités crédibles de remise en cause de l'ordre colonial: Dés 1919, les idéaux du président Wilson ont des échos non négligeables et semblent sonner le glas du mythe de la mission civilisationnelle de la colonisation. La désunion entre les vainqueurs de la guerre apparaissait déjà depuis le rejet du traité de Versailles en 1920 par le Sénat américain...
  Ainsi, c'est dans ce contexte complexe d'après guerre, qu'au cours, des années 24 à 27, les événements, que nous allons brièvement nous remettre en mémoire, à titre purement indicatif, semblent avoir  retenu, à divers titres, l'attention de l'étudiant parisien Tahar Sfar comme certainement celle de ses camarades d'études. Ces événements ont fait l'objet soit de lectures dans des revues spécialisées, soit de discussions et d'analyses avec ses camarades tunisiens, maghrébins ou européens. Rappelons, que Tahar Sfar avait, pendant au moins un an, habité dans la résidence universitaire de Belgique à Paris, après un séjour à la cité Deutcht de la Meurthe, aux milieu des étudiants européens et qu'il avait à cette occasion écrit à quelques amis à Tunis pour appeler déjà ses compatriotes fortunés à rassembler des dons pour que la Tunisie puisse édifier une résidence pour étudiant à Paris à l'instar de ce petit pays qu'était la Belgique.
 Tahar Sfar ne pouvait pas ne pas réfléchir aux conséquences des événements qui retenaient son attention, à l’époque, tant pour l'avenir des relations internationales que pour l'évolution des idées et des courants profonds qui remuaient les sociétés occidentales. Idées et courants qui ne pouvaient pas ne pas avoir d'échos en Tunisie et d'influence sur l'avenir politique de son pays. Son inscription à l’Ecole libre des Sciences Politiques de Paris, parallèlement à la Faculté de Droit et à la Faculté des Lettres, témoigne de l’intérêt qu’il portait à la politique et de sa volonté de ne pas l’aborder en dilettante ni d’une manière classique, mais sur la base d’une démarche rationnelle et sur la base d’une méthodologie réfléchie et adaptée au contexte national et international.
 Ainsi Tahar Sfar suit avec intérêt- comme le laisse entrevoir les notes éparses de ses cahiers d’étudiant-, avant même son départ en France, le déroulement de la Conférence de Paris sur les réparations de guerre que l'Allemagne doit payer, il relève les conséquences possibles, à l’échelle internationale, tant de l'occupation de la Ruhr par la France, avec l'appui de la Belgique, en gage des réparations allemandes, que la signature par la Grande Bretagne et les Etats-Unis de l'accord sur les dettes interalliés, la condamnation du Pape Pie XI de l'occupation de la Ruhr et l'attitude  de la Grande Bretagne qui estime, dans une première phase, également cette occupation contraire au Traité de Versailles. Il relève toutes ces contradictions et ces incohérences, alors que le fascisme se renforce déjà en Italie où Mussoloni consolide son pouvoir par des arrestations massives de militants socialistes et que Hitler se manifeste, bruyamment déjà, sur la scène politique internationale par son putsch manqué à Munich et enfin que le Général Primo de Rivera fait accepter au Roi Alphonse XIII l'instauration d'un directoire militaire en Espagne.
  Tahar Sfar perçoit les prémisses d'un renforcement de l'interventionnisme  américain en Europe à travers       notamment    la   proposition       des    Etats Unis  de jouer
 " Monsieur bons offices" dans le différent franco-allemand sur les réparations de guerre, il note également le peu d'intérêt de cette nouvelle puissance- qui émerge depuis la première guerre mondiale- pour le Maghreb arabe, considéré encore comme "chasse gardée de la France, comparativement à l'intérêt grandissant qui se manifestait déjà pour le "Machrék" arabe. Est ce qu'il entrevoit déjà le début du déclin de l'Europe au profit de la montée en puissance des Etats Unis qui se dessine après la première guerre mondiale? Nous ne pouvons pas le savoir avec certitude à travers les écrits et les notes qu'il nous a laissés.
  Tahar Sfar tente aussi d'analyser les conséquences historiques du Traité de Lausanne abrogeant le Traité de Sèvres imposé à la Turquie en 1920 tout en suivant avec beaucoup d'attention l'évolution de la situation politique dans ce dernier Pays où Mustapha Kemal avait déjà proclamé la République dés octobre 1923 en engageant un premier train de réformes importantes en Turquie. Certains commentateurs des journaux parisiens  de l'époque signalaient que le Traité de Lausanne marque une date capitale dans l'histoire de l'Europe et même celle du monde arabo-musulman; en effet pour la première fois la Turquie, pays musulman est traitée comme une puissance occidentale et la guerre contre les turcs qui devait avoir  pour effet de les repousser hors d'Europe contribue grâce au Traité de Lausanne de rapprocher la Turquie  de l’Europe. En effet, depuis une décennie déjà, où même plus, une certaine élite turque et une partie de la classe politique prônaient et militaient pour des réformes qui s'inspiraient des institutions et de la dynamique du progrès scientifique du monde occidental; et voilà que les pourparlers de Lausanne s'achèvent, dés juillet 1923, d'une façon très favorable au gouvernement de Mustapha  Kemal qui obtient presque tout ce qu'il souhaitait renforçant ainsi son autorité dans son pays et conduisant à l'avènement de la République : les frontières de la Turquie d'Europe redeviennent celles de 1914,la Grèce cédant la Thrace orientale jusqu'à Maritza. En Asie, Ankara reçoit la Smyrne et l'Arménie occidentale. Certes les Détroits sont internationalisés et surveillés par une Commission Internationale mais en contre partie toutes les forces  d'occupation étrangères évacuent le pays, y compris Istanbul, la Grèce et la Turquie procéderont à un important échange de population pour tenter de régler le délicat problème des minorités.   
  La mort de l'homme politique et du philosophe que fut Maurice Barrés focalise l'attention de Tahar Sfar, sur l'itinéraire et la pensée de ce grand homme qui fut, avec Paul Painlevé et Pierre Taittinger, dés le 2 février 1922 parmi les auteurs et les  députés signataires d'un projet de résolution en faveur de la Tunisie, ,( ce projet sera retirer par ses auteurs à la suite de évènements intervenues en Tunisie en avril 1922,où on vit pour la première fois un Bey, Mohamed Ennaceur ,tenter de soutenir les revendications des nationalistes tunisiens) demandant  la promulgation avec l'accord du Bey de Tunisie, d'une "charte constitutionnelle fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs avec une assemblée délibérante élue au suffrage universel, à compétence budgétaire étendue et devant laquelle le gouvernement local serait responsable de sa gestion" répondant ainsi aux sollicitations d'une délégation de nationalistes tunisiens dépêchée à Paris en décembre 1920 et conduite par notamment Tahar Ben Amar, Hassouna El Ayachi et Farhat ben Ayed. Cette délégation, qui fut reçu en audience par le président du Conseil français, s'est montrée plus modérée dans le fond et dans la forme en comparaison avec les revendications déjà exprimées par l'ouvrage qu'avait publié en 1919 à Paris A. Taalbi, avec l'aide d'Ahmed Sakka sous le titre de "La Tunisie Martyre". 
   On sait que cette publication intervient un an,a peu prés, avant la fondation à Tunis par notamment A Taalbi, du premier "Destour",sous la dénomination officielle de "Parti libéral Constitutionnel" .Tahar Sfar reproduit dans un de ses cahiers d'études, un article, qui avait certainement eu sur lui une forte impression ; il s’agit d’un article du journaliste Robert de Flers publié à l'occasion de la mort de Barrés:"Il avait été un homme politique, écrit Robert de Flers, dont la carrière avait embrassé une période très vaste: il avait vu le boulangisme, le Panama, la guerre, le défaitisme et, en 1919, le bolchevisme menaçant. Son cœur passionné des grandes traditions de la patrie l'avait toujours et d'abord porté vers l'endroit où le drapeau lui semblait engagé....il avait  aussi été un homme de lettres et une grande personnalité. Ceux qui n'apercevaient en lui que nonchalance et que hauteur ne le connaissaient point. C'était en quelque sorte, un passionné de sang froid qui poussait jusqu'au génie le don tantôt de découvrir sous les réalités apparentes leur signification abstraite, tantôt de communiquer aux abstractions le frémissement et l'ardeur de la vie....Nul poète ne poussa à un point supérieur l'esprit philosophique; nul philosophe ne consentit à goûter avec plus d'abandon et de délicatesse le spectacle du monde extérieur...C'est ainsi que sa vision, à la fois impérieuse et docile des grands aspects de l'humanité, accueillait tour à tour la magnificence d'un satrape ou la discipline d'un janséniste. Nous devons à cette mobilité singulière l’œuvre éblouissante de diversité qui va de Du Sang, de la Volupté et de la Mort, à la Colline Inspirée, du Jardin de Bérénice à l'Appel au Soldat, des Fleurs aux lauriers."   Tahar Sfar semble avoir retenu de l'exemple de Barrés, le modèle de l'intellectuel qui ne renie pas les valeurs auxquelles il est attaché même dans l'action politique, tout dépend, en effet, de la finalité qu'on donne à cette activité: exclusivement l'accès au pouvoir pour s'y maintenir à n'importe quel prix et par n'importe quel moyen ou se mettre au  service de son pays sur la base d'un programme consciencieusement élaboré et démocratiquement adopté puis scrupuleusement et méthodiquement mis en œuvre.
 En 1924, ce qu'on a appelé le "cartel des gauches" devient majoritaire à la chambre des députés en France, les radicaux et les socialistes triomphent et le président Millerand est contraint de démissionner après que la Chambre ait renversé le cabinet constitué par un de ses proches Francis-Marsal. Malgré cette démission, le cartel des gauches n'aura pas la Présidence de la République. Gaston Doumergue est élu président par 515 voix  contre 309 voix au candidat de l'union de la gauche Painlevé. Cette défaite de Painlevé était due essentiellement au vote des Radicaux du Sénat qui ne sont pas alignés sur les Radicaux de la Chambre, leur radicalisme s'est accommodé à cette occasion d'un certain conservatisme,  et le choix de Doumergue leur a paru plus sage. Tahar Sfar va s'intéresser davantage, pendant cette période à la vie politique française, aux jeux et aux alliances des partis, aux événements au jour le jour, aux débats à la Chambre et aux commentaires des principaux quotidiens parisiens. Les quelques meetings de partis politiques auxquels il assiste en tant qu'observateur critique, sont de véritables séances de travaux pratiques pour ses cours à la faculté de droit et à l'école des sciences politiques, ils sont également pour lui une occasion privilégiée pour mieux comprendre les avantages et les inconvénients de la "démocratie occidentale" et de réfléchir aux conditions préalables de succès de véritables Institutions démocratiques dans une Tunisie qui recouvre un jour sa souveraineté. Parmi ces conditions Tahar Sfar privilégiait en toute première place le choix de la méthode à retenir pour la lutte de libération du pays ;choix qui se  devait d'être défini sans ambiguïté afin que des règles de conduite constitutifs d'une véritable éthique, puissent être établies et respectées par tous les militants; cette méthode se devait de mettre en première ligne, le non recours à la violence physique, l'apprentissage et l'éducation de tout le peuple pour développer l'esprit de tolérance grâce notamment à la multiplication des débats libres et démocratiques bannissant toutes formes d'autoritarisme dans la vie politique.  La lutte pour la libération devait être, selon Tahar Sfar réalisée dans et avec le pluralisme des idées et des partis, elle devait être  surtout l'occasion pour les militants de l'apprentissage des règles du jeu d'une vraie démocratie: La critique de l'autre ne doit pas conduire à sa négation mais à transformer les militants et avec eux le peuple en véritable arbitre responsable. Ce faisant Tahar Sfar était-il un utopique à l'époque? Peut être qu'il y avait beaucoup d'utopie et d'idéalisme dans le crédit qu'il accordait "aux forces du bien" dans les hommes et notamment à la sacralisation de la parole donnée, qui est comme chacun le sait, une de nos valeurs traditionnelles constitutive de l'honneur de l'Homme. De toutes façons ce qui me parait certain, c'est que Tahar Sfar s'est voulu un humaniste et un démocrate authentique à travers lequel la grande majorité des intellectuels Tunisiens devraient normalement se reconnaître tout naturellement,comme le démontre l’histoire de ces cinquante dernières années depuis l’indépendance de notre pays. le comportement de Tahar Sfar  comme celui de très nombreux autres militants honore le mouvement de libération tunisien et contribue à lui donnée sa belle spécificité par rapport à d'autres mouvements. Tahar Sfar ne voulait, à l'instar de beaucoup d'autres militants, en aucun cas combattre pour transformer un peuple considéré par les colonisateurs comme un "peuple troupeau" pour en faire un peuple "enfant".Son combat n'avait de sens et de raison d'être, que pour faire en sorte que la lutte pour l’indépendance soit une occasion privilégiée pour éduquer civiquement tout un peuple et faire du peuple tunisien un peuple libre et pleinement responsable de son destin dans le respect des lois et des institutions qu'il se serait démocratiquement données. Pour lui, la lutte nationale  devait être, avant tout autre chose, un moyen efficient pour faire prendre conscience à toutes les catégories du peuple tunisien qu'elle constituent une même Nation ,que cette nation se libérera effectivement et inéluctablement par une éducation moderne et généralisée, éducation que le peuple tunisien était disposé(et il l'a prouvé surtout pendant la période 1949 à 1955) à assurer par ses propres maigres ressources même quand les autorités du protectorat ne suivaient pas cet élan pour des raisons évidentes de pérennisation de la colonisation: Le développement d'une éducation moderne et solide devait contribuait inéluctablement et naturellement à la fin de la colonisation dans sa forme originelle…
 La mort de Lénine ,amène Tahar Sfar à réfléchir et à  se documenter sur l'évolution de la situation en Russie où Staline va bientôt consolider son pouvoir en  se débarrassant de celui qui pouvait prétendre à la succession de Lenine; en effet dés 1927 Trotski sera exclu du Présidium de l'Internationale Communiste en prélude à son exclusion du parti Communiste et à son exil. Tahar Sfar pense dés cette époque que "la dictature provisoire du prolétariat" était une parodie du vrai socialisme et qu'elle ne faisait que masquer un régime totalitaire qui se renforce de plus en plus
  En Novembre 24, Tahar Sfar, note la formation, pour la première fois dans l'histoire du Royaume-Uni, d'un gouvernement travailliste et compare pendant toutes ces années les politiques intérieures et extérieures des deux pays, la France et le Royaume-Uni. Toujours en 1924, la déchéance de la dynastie des Glucksbourg en Grèce, discréditée notamment, par les pertes de la guerre contre la Turquie, est proclamée pacifiquement par un vote unanime à l'Assemblée à Athènes et la République est instituée. La motion votée dans un grand enthousiasme interdit également le séjour en Grèce aux membres de la famille royale et autorise l'expropriation de leurs biens: Ce changement radical de régime sans l'habituel bain de sang retient l'attention.
 Déjà en Mars 24, l’Assemblée turque avait voté, après un débat houleux, mais apparemment démocratique, l'abolition du Califat en vue de défaire le pays de ses archaïsmes et de parachever l'action entreprise depuis 1922 avec la suppression de la fonction de Sultan en temps que chef temporel. La suppression de la Monarchie Ottomane, par la déposition de Mehmet VI augure de grands changements dans toute l'ancienne zone d'influence turque, et les élites des différents pays arabes de l'ancien empire ottoman suivent avec un intérêt croissant la nouvelle politique de Mustapha Kemal, même si elles ne les approuvent pas toutes….
  La cérémonie de transfert de la dépouille de Jean Jaurès au Panthéon  en Novembre 1924 retient l’attention de Tahar Sfar qui note  dans un de ses cahiers de cours de sciences politiques, le commentaire suivant d'un journaliste de l'époque "Le cortège de Jaurès s'est lentement dirigé, avec une grande  simplicité qui n'excluait pas une émouvante solennité, de la chambre des députés, qui fut son domaine  d'action privilégié, au Panthéon ,qui sera le champ terrestre symbole de l' éternel repos de ce  vaillant combattant qu'on ne peut qu'admirer même si on ne partage pas toutes les idées"
 Ces quelques rappels historiques, sans être exhaustifs nous montrent, combien Tahar Sfar, s’intéressait  avec lucidité à ce qui se passait sur la scène européenne et internationale et avait déjà pleinement conscience que l'avenir de son pays ne pouvait pas être sérieusement envisagé en dehors d'une bonne compréhension du contexte général du monde Méditerranéen, de l'Europe, voir de l'évolution de la situation mondiale, de ses enjeux et de l'équilibre des forces en présence.
  Sur le plan littéraire, Tahar Sfar, ne manque pas de remarquer et de s'intéresser à l'apparition du jeune courant des surréalistes avec, André Breton, Louis Aragon, Paul Eluard et d'autres il note à ce sujet cette tentative de définition du surréalisme naissant, qui est devenu par la suite le mouvement qui a marqué le plus de son empreinte presque toute la littérature, la peinture et la pensée française: "Autant qu'il semble, le surréalisme aurait pour base la réalité, pour moyen d'expression les images et essentiellement les images issues de l'observation visuelle où doit se fondre en une sorte de précipité, les éléments de la réalité les plus opposés. Le surréalisme semble également proscrire l'excès d'abstraction et de dialectique et condamne tout dilettantisme, tout art décadent, il parait vouloir l'intensité, la force et la santé".
   En 1925 la chute du cartel des gauches notamment en raison des difficultés financières de la France retiennent l'attention de Tahar Sfar; c’est une occasion pour lui de voir en pratique les résultats fâcheux des politiques budgétaires et monétaires mal conçues et mises en oeuvre partiellement, et percevoir aussi l'ampleur de la différence entre le discours politique prôné par l'Union de la gauche et l'évolution de la situation politique, économique et sociale de la France .
 Tahar Sfar fut tout au long de ses études un analyste très critique d'une certaine classe politique française en faisant ressortir les faiblesses et les contradictions tant  de sa politique intérieure qu'extérieure. Ses analyses étaient influencées par les valeurs auxquelles il était attaché presque d'une manière viscérale ; en effet, pour lui faire de la politique, c'est, avant toute chose, se mettre au service de son pays avec abnégation et compétence  en respectant soi-même et jusque dans sa vie privée les valeurs prônées pour le type de société qu'on prétend vouloir réaliser. Il avait en horreur les "méandres de la politique politicienne, opportuniste ou démagogique" Tahar Sfar, dés le début de son combat a considéré qu'en politique comme en toute autre activité ,la fin ne doit en aucun cas justifier n'importe quel moyen, il était foncièrement convaincu qu' opter pour le contraire, c'était ouvrir la voie au totalitarisme et à la répression qu'on est censé combattre.
  Pour Tahar Sfar, la lutte nationale pour la libération de notre pays du colonialisme se distingue nettement de la politique courante dans un pays souverain. Cette lutte, selon sa conception,  doit exclure, en cette fin du premier quart du XXe siècle,le recours à la violence physique, en tant que système; parce que, celle-ci débouche sur la banalisation de l'usage de la terreur génératrice des dictatures.
  La Tunisie ayant suffisamment souffert tout au long de son histoire des luttes souvent fratricides se devait de préparer une nouvelle élite bannissant la violence du combat politique et tout son peuple devrait être imprégné de cette impérieuse nécessité pour forger un nouvel avenir qui ne pouvait être porteur de progrès authentique et durable que  dans la concorde pérennisée dans le pays, non par la force et la contrainte, mais par l'apprentissage de la vie démocratique respectueuse des droits et des devoirs de l'homme, de ses libertés fondamentales parmi lesquelles le droit à la différence  non seulement dans les croyances mais également dans le domaine des idées politiques, économiques ,sociales ou culturelles
  En pensant ainsi, Tahar Sfar restait un authentique musulman, fondamentalement attaché aux valeurs universelles de la civilisation arabo-musulmane qui doit, disait-il souvent, « se débarrasser de ses archaïsmes et s'enrichir continuellement, pour rattraper le temps perdu et faire vivre dignement le peuple tunisien dans un monde où la science et la technologie feront de plus en plus la véritable  puissance des nations ».
   Son credo pour son pays était, avant toute chose, la formation d'un peuple instruit, cultivé et consciencieux capable d'assumer pleinement la réalisation de son destin.
   C'est pourquoi Tahar Sfar  a toujours envisagé et préconisé une première étape dans le combat politique du mouvement national conduisant à l'indépendance, qui devait mettre surtout l'accent sur l'apprentissage par la pratique , par l'exemple et par l'éducation, de la vraie démocratie, et cela en faveur de l'ensemble des composantes du peuple tunisien. Cette mission devait être, selon lui, celle d'un grand Parti  Nationaliste de masse qui ,laissant la place obligatoirement à d'autres partis et à d'autres courants de pensées, devait se fixer comme premier objectif de faire prendre conscience à l'ensemble des tunisiens, de leur appartenance à une même nation et de leur nécessaire participation pacifique au long et patient combat de libération nationale dont l'aboutissement lui paraissait, à plus ou moins long terme, inéluctable compte tenu de l'évolution qui se dessinait dans le monde . En tout état de cause, et je m'excuse auprès du lecteur de me répéter sur ce point du non recours à la violence physique, qui était et demeure capital pour l'avenir de notre pays, cela d'ailleurs s'est vérifié par la suite à de multiple occasions sur lesquelles nous aurons peut être à revenir.
  Le combat politique de libération pour Tahar Sfar se devait d'être l'occasion la plus propice pour l'enracinement d'une sorte de culture de la démocratie, auprès des élites et des masses tunisiennes ;c'est pourquoi il insistait souvent dans ses écrits sur ce qu'on pourrait appeler la déontologie de la critique qui doit prémunir les partis contre les luttes intestines et stériles contre la démagogie et les comportements diffamatoires qui sont autant d'ennemies de la démocratie.
  Ce faisant, Tahar Sfar exprimait les souhaits profonds des élites successives qui ont milité depuis le début du siècle notamment, selon le contexte particulier à chaque période, pour une Tunisie souveraine et démocratique même si cela nécessitait obligatoirement un long apprentissage et de grandes  et longues étapes.
  Si Tahar Sfar avait pu vivre jusqu'à la "guerre de libération algérienne" il n'aurait certainement pas été d'accord avec Frantz Fanon dans ses appels à la violence physique dans la lutte contre le colonialisme même si le cas algérien représentait un cas particulier qui devait nécessairement justifier la lutte armée. Michel Giraud, dans son intervention intitulée "Portée et limites des thèses de Frantz Fanon sur la violence"à l'occasion du mémorial international"Frantz Fanon" en 1982, a très justement reconnu que ".Sur la question de la violence dans la situation coloniale, nous buttons effectivement sur une contradiction majeure ,contradiction qui n'incombe pas à une faiblesse d'analyse que l'on pourrait imputer à Fanon ,mais qui est inhérente à cette situation elle même .en effet si, comme nous l'avons déjà vu, la contre-violence du colonisé est "bonne" parce que légitime et nécessaire ,elle constitue en même temps, dans le présent  et pour l'avenir, une menace potentielle pour l'avenir de l'humanité. De ce point de vue, même légitime et nécessaire, elle peut être dite un "mal".je dirai qu'elle est l'instrument d'un projet émancipateur, mais un instrument à double tranchant, il convient d'en user avec discernement"
 Michel Giraud, d'ailleurs ajoute" La grandeur de Fanon a été de dire en même temps la nécessité de la violence dans la lutte de libération nationale, et ses dangers."
 Tahar Sfar  a, suivi avec émotion et attention l'évolution de l'insurrection armée conduite par Abd-el-Krim au Maroc, qui après ses premiers succès contre les espagnols, se fait malheureusement  écraser avec ses 20.000 combattants valeureux par les 150.000 hommes conduits par le Maréchal Pétain en personne et appuyés par des escadrilles de l'aviation française. Malgré  ce déploiement de force, la résistance héroïque d'Abd el Krim, se poursuivra jusqu'au printemps 1926. Seul, en France, le parti communiste exprima, à l'époque, sa compréhension pour la résistance rifaine, par la voie du député Doriot à l'Assemblée provoquant l'indignation de la majorité de ses collègues députés.
  En 1927 ,Tahar Sfar convient et Habib Bourguiba partageait à ce moment entièrement cette forte conviction, que ce n'est pas  uniquement par les armes que le Maroc et la Tunisie, pouvaient et devaient, rétablir leurs souverainetés, mais par un long combat politique, pacifique et respectueux du droit, conduit sur le sol national et  relayé  par des appuis sur la scène internationale en commençant par la sensibilisation des français de bonne volonté eux mêmes sur la réalité de la situation dans les colonies et sur cette grande supercherie  qu'était la prétendue oeuvre civilisatrice de la France. Oeuvre qui, en réalité avait mis un terme à un grand et noble courant réformateur proprement tunisien,- celui initié par  Kheireddine Pacha et les premiers réformateurs tunisiens depuis le xix siècle- pour conduire, sous le masque du protectorat, à une colonisation rampante et un asservissement total du pays.
 C'est de cette double prise de conscience que commencent les premiers contacts de Bourguiba, Sfar et leurs autres camarades encore étudiants, avec les rares intellectuels et hommes politiques français de l'époque qui, par leurs timides écrits ou leurs déclarations manifestaient une certaine opposition à la politique de colonisation pratiquée par les autorités françaises. Ces contacts étaient fréquents notamment avec les  associations à caractère humanitaire implantées à Paris et celles qui militent pour le respect des droits de l'homme malgré leur faible audience à l'époque, mais cela n'avait pas d'importance, les deux étudiants savaient qu'ils ne faisaient que leurs premiers pas dans ce qu'ils reconnaissaient être un long combat pour la "défense de la cause Tunisienne"dont la première étape devait consister en un retour à l'esprit premier du protectorat et à la lettre du Traité du Bardo qui n' autorisait la France à occuper que temporairement la Tunisie en lui laissant une souveraineté interne totale. D'ailleurs, il était déjà établi qu'aussi bien le Traité du Bardo, que la Convention de la Marsa, ont été détournés par les Résidents successifs représentants du gouvernement français en Tunisie plus particulièrement sous la pression et l'influence des ténors des colons bien implantés dans le Pays conquis et ayant à leur solde un groupe très actif à l'Assemblé parisienne chargé notamment de légitimer l'action d'une colonisation spoliatrice menée par les représentants des autorités françaises et de masquer les actions d'appauvrissement systématique de la population tunisienne par une" colonisation de peuplement" nullement prévu par les traités.
 Au cours de l'année 1926, Tahar Sfar ne manque pas de relever, encore une fois, le développement des divergences dans le camp des Alliés alors que le fascisme continue à gagner du terrain en Italie d'abord, en Autriche et en Allemagne ensuite. "L'occident, disait souvent Tahar Sfar à ses camarades n'est pas entrain de tirer toutes les leçons de la guerre des années 14-18". La conclusion d'un traité Russo-Allemand inquiète certes "les Démocraties européennes" alors que la S.D.N.n'était qu'à ses premiers balbutiements pour tenter de créer un "nouvel ordre européen"Les relations Franco-Américaines restent dominées encore par la question de la dette de guerre de la France envers les Etats-Unis et la Grande Bretagne. Ces deux derniers pays refusant tout lien entre la dette française à leur égard et les sommes que la France est sensée recevoir de l'Allemagne.
Le procès, des deux anarchistes d'origine italienne, Sacco et Vanzetti au Etats-Unis est l'occasion pour Tahar Sfar de faire du Droit Pénal comparé entre les principaux pays occidentaux et de se rendre compte du très faible effet des nombreuses manifestations de protestation de la société civile des pays européens sur la justice américaine , cela, malgré les insuffisances manifestes de preuves, qui ont entaché ce procès resté célèbre.
  L'année universitaire, qui clôture les études supérieures de Habib Bourguiba se termine par la montée sur le Trône du Maroc de celui qui sera le sultan Mohamed V, Henri Bergson, pour sa part, reçoit, la même année le prix Nobel de littérature et Mao-Tsé-toung crée l'Armée de Libération Nationale en Chine.Tahar Sfar ayant rejoins Paris une année après Bourguiba retournera en Tunisie après avoir achevé ses études l’année suivante en juillet 1928 après avoir participé activement à la création de l’Association des Etudiants Musulmans d’Afrique du Nord, avec la coopération de ses camarades notamment Salem Chedly et Ahmed ben Miled.
Salem Chedly sera ainsi le premier président de cette importante association et Tahar Sfar son premier vice-président..Le grand rêve de cette association relatif à la création d’un Maghreb Uni attend toujours sa vraie concrétisation….

 Pendant tout ce temps que se passait-il en Tunisie?
  Tahar Sfar avait eu la chance de recevoir régulièrement, avec les lettres de son père des coupures des journaux et revues publiés en Tunisie ,en langue arabe et plus particulièrement la page littéraire hebdomadaire du quotidien En-Nahda;ainsi il était constamment tenu au courant des principaux événements de son Pays qu'il ne manquait pas de commenter avec ses camarades...Il avait quitté son pays pour ses études en 1925 , après ce que les historiens tunisiens ont appelé la"crise de 1922"au cours de laquelle s'évanouissait un premier espoir du Destour de voir se réaliser ses revendications par la voie légale, après également, le voyage du Président de la République française Alexandre Millerand en Tunisie et après le simulacre de réformes du Résident Général Lucien Saint destiné, sans résultats d'ailleurs, à calmer l'atmosphère très tendue dans le pays, même si le petit "Parti Réformiste" tunisien avait considéré ces réformes comme une "étape positive".
 Manifestement les timides  réformes de juillet 1922 ne pouvaient satisfaire la grande majorité des nationalistes tunisiens, seule une minorité, active dans la capitale, avait acceptée d'apporter son appui, aux réformettes du Résident Général, tout en attaquant dans certains journaux Tâalbi et ses compagnons pour ce qu'elle considérait comme de l'intransigeance et de l'absence de maturité politique. Essafi et Tâalbi sont même calomniés et accusés, sans preuves, par cette minorité de détourner à leur profit les fonds du Parti.
   Découragé, Thâalbi quitte la Tunisie en Juillet 1923 pour un long exil volontaire en Orient, où il pensait trouver un environnement plus propice à ses idées notamment sur l'évolution de l'Islam et celle du monde arabe notamment après la consommation de l'éclatement de l'Empire et du Khalifat Ottoman en faveur duquel il avait, pourtant, milité, au début de son activité politique. Thâalbi laisse à Essafi, à Salah Farhat à Mohiédine Klibi et à leurs camarades le soin de poursuivre la lutte au sein du Destour.
 Tahar Sfar avait pu également avant de partir à Paris, observer la nouvelle résistance qu'allait engager le Destour à travers  ses journaux contre la loi du 20 Décembre 1923 sur les naturalisations, loi dont il saisit le grave danger à terme pour l'avenir de la Tunisie .Pendant les premiers mois de séjour en France de Tahar Sfar, de Habib Bourguiba et de Bahri guiga se déclenchèrent, en Tunisie, de nombreuses grèves ouvrières accompagnées parfois par des incidents graves ,le Destour commençant par appuyer les initiatives de Mhammed Ali pour la création de la Confédération Générale des Travailleurs Tunisiens, qui fut une sorte d'embryon du syndicalisme tunisien.  Alors que Tahar Sfar et ses camarades entamaient leurs études à Paris une délégation du Destour composée notamment de Salah Farhat,d'Ahmed Essafi et de Ahmed Tawfik El Madani était chargée de se rendre dans la capitale française pour sensibiliser les députés et sénateurs français sur la situation en Tunisie, critiquer les prétendues réformes du Résident Général,Lucien Saint et présenter un programme de revendications en 9 points. Dans un mémoire intitulé " la question tunisienne" le Destour développe ses idées et explique à une opinion française, inquiète de ce qu'elle appelait alors "le péril rouge", qu’il n'est en aucune façon un allié du Parti Communiste.
  On sait que cette délégation ne fut pas reçu par les responsables français et qu'en Tunisie les autorités du protectorats ,alarmées par l'amplification des grèves, engageaient des actions de répressions et procédaient à l'arrestation des "Agitateurs" en les inculpant "d'atteinte à la sûreté de l'Etat et appel à la haine des races», Mhamed Ali , d'autres syndicalistes tunisiens et le communiste Finidori sont ainsi arrêtés et accusés d'avoir fomenté un "complot Destouro-Communite".Ahmed Kassab écrit au  sujet de ce procès, dans son ouvrage "Histoire de la Tunisie ,l'époque contemporaine" :"Le jour de l'ouverture du procès, le 11novembre 1925 des grèves dont la plus importante fut celle des dockers de Tunis, furent déclenchées en signe de protestation. Le procès dura cinq séances devant le Tribunal Criminel de Tunis; Il tourna purement et simplement au procès politique par le caractère même des inculpés et surtout des défenseurs. Me Berthon,député communiste parisien,assistait Finidori et Mhamed Ali,tandis que Es-Safi,Farhat et Djemaïl défendaient les autres  détenus tunisiens.Berthon termina sa plaidoirie par une déclaration retentissante;"En vertu des traités de la Marsa,la France n'a qu'un droit en Tunisie,celui de s'en aller".Lui même n'avait rien à craindre en parlant ainsi, mais les avocats tunisiens tous chefs du Destour,furent très prudents, Ils s'évertuèrent tous à montrer qu'il n'y avait aucune collision entre le Parti Communiste et le Destour.Ils profitèrent de l'occasion pour reparler des revendications destouriennes et pour mettre l'accent sur leur compatibilité avec l'esprit des traités du protectorat.Ils affirmairent solennellement leur loyalisme,par la bouche d'Ahmad Es-Safi: «Nous savons que ,petit pays,la Tunisie ne peut pas être indépendante,qu'elle a au contraire tout intérêt à vivre sous le protectorat français"
  Ils manifestèrent si bien leur loyalisme qu'ils allèrent jusqu'à se désolidariser ouvertement du nouveau syndicalisme et de son promoteur Mhamed Ali.
  Reculade très grave qui permis au tribunal de prononcer un sévère verdict de bannissement contre tous les inculpés: 10 ans contre Finidori, Mhamed Ali et Ayari ; 5 ans contre Kabadi, Ghanouchi et Karoui."
 "L'alliance avec les communistes ne donna donc aucun résultat, car malgré leurs dénégations de principe, les destouriens s'étaient réellement alliés a Finidori, sans toutefois oser s'engager à fond dans cette alliance.
 Ils eurent peur, au dernier moment d'une réaction brutale des autorités qui avaient la hantise du péril 'rouge'.
 Déçus donc par cette courte alliance, et après avoir, somme toute, vilainement lâché Mhamed Ali, les destouriens continuèrent seuls leur lutte."
   Le Destour sortit relativement affaibli de cette crise mais le jeune mouvement syndical prenait la relève et une certaine agitation continua dans le pays contraignant ainsi Lucien Saint à promulguer les décrets du 29 janvier 1926 qui limitaient encore plus la liberté de la presse et permettaient de poursuivre plus sévèrement les crimes et délits politiques.
   Les années 1926 à 1930 se caractérisèrent par une relative accalmie dans le combat national de libération de la Tunisie qui attendait un nouveau souffle que ne manquera pas de lui donner une autre génération de militants dés le début des années 30.
    L'historien tunisien Ali Mahjoubi dans son article en langue arabe "Lecture de l'histoire du mouvement national tunisien"(1995) semble vouloir expliquer la mise en veilleuse de l'activité nationale pendant la période 26-30 essentiellement par la relative prospérité économique qui a prévalu à cette époque et notamment celle du secteur agricole, il finit par conclure à une corrélation systématique entre crise économique et vigueur de l'activité du mouvement national tunisien ,je pense pour ma part qu'il n'y a pas que le facteur économique et qu'il faut y ajouter de nombreux autres facteurs, dont notamment l'évolution des idées, l'augmentation du nombre et de la qualité des élites tunisiennes, l'accumulation des expériences et la géopolitique de l'époque.
   les grandes lignes d'une nouvelle stratégie de combat politique, qui se situait dans la continuité du mouvement national tunisien, commençait progressivement à s'échafauder d'une manière informelle au cours des multiples entretiens de Bourguiba avec ses camarades d'études à Paris: tous étaient unanimes pour la nécessité d'un combat de longue haleine qui se fixait comme objectif premier le développement de l'éducation de l'ensemble du peuple Tunisien et comme moyens de réalisation le combat politique pacifique qui n'excluait aucun moyen légitime, combat gradué par la plume, par les réunions de formation politique,  les grands meetings, les grèves et les manifestations encadrées lorsqu'elles ne sont pas interdites enfin et en dernière extrémité le boycott sélectif des produits importés de France et de certains services publics.
  Tahar  Sfar, au cours de ces entretiens ne manquait pas de se référer souvent au combat pacifique et efficace de Gandhi qu'il admirait beaucoup non seulement pour son pacifisme militant d'une efficacité redoutable, mais également pour les valeurs, l'éducation et les messages qu'il diffusait dans son peuple. Education politique et civique que Tahar Sfar considérait, répétons le, comme fondamentale non seulement pour la libération d'un pays mais également pour assurer par la suite la pérennité de véritables institutions démocratiques garantes d'un progrès authentique et reflet réel de la maturité d'une nation.
   En Mars 1931,Tahar Sfar, écrit dans un article publié dans "La Voix du Tunisien" sous le titre anodin de" DOCTRINES ET FAITS NOUVEAUX"à propos de la situation des peuples colonisés "...Sentant qu'ils sont menacés de disparition ,que la misère et la faim les guettent, que la loi de la sélection naturelle se retourne contre eux;eux aussi se rapprochent les un des autres, s'unissent, joignent leurs faibles mains dans un mouvement de solidarité instinctive, puis ce plus en plus consciente, à mesure que s'aggravent les conséquences du régime d'inégalité et de servitude ,toutes ces foules, spontanément unies, finissent par comprendre que malgré la faiblesse ,à laquelle elles sont réduites en tant que producteurs, elles constituent néanmoins une force très grande comme consommateurs,que ce sont, en fin de compte, leurs multiples misères qui donnent naissance à ces richesses éblouissantes qu'elles observent chez les privilégiés, que c'est à eux à faire la loi au lieu de la subir servilement."
"Ces idées, poursuit Tahar Sfar, développées et précisées par l'élite, forment toute une doctrine d'émancipation politique et sociale qui fait irrésistiblement son chemin dans les masses exploitées;GANDHI a attaché son nom à cette doctrine et l'a replacée dans le domaine de l'action.
  Il y a vu un moyen efficace d'arriver d'une manière certaine à la libération des peuples opprimés, SANS RECOURS A LA VIOLENCE et rien que par la mise en oeuvre des forces latentes contenues dans les droits économiques, il y a vu également un moyen habile de faire comprendre aux multitudes asservies combien, au fond elles sont indispensables aux maîtres de l'heure grâce à leur grande surface de consommation d'abord, et à leur importance dans le domaine de la production ensuite. User " du droit de ne pas acheter" apparut aussitôt comme une arme de défense très puissante et un procédé pratique et ingénieux pour s’imposer au respect et obtenir l'abolition d'un régime oligarchique, fondé sur l'inégalité et l'arbitraire. L'Inde fut le milieu où l'on fit l'expérience de ces nouvelles formules et où l'on mit à l'épreuve les nouveaux moyens de lutte;les autres pays asservis n'attendirent pas les résultats de l'essai;eux aussi, à l'exemple du peuple hindou, lancèrent le mot d'ordre de " boycottage, de non-coopération «et de résistance passive." Tel fut le fil directeur de la philosophie politique à laquelle Tahar Sfar resta fidèle durant toute sa courte vie et cela nous fera mieux comprendre les attitudes et les choix de Tahar Sfar, aussi bien, pendant la crise de 1934-35 que pendant le drame de 1938 comme nous le verrons plus tard.
 Dés l'été 1928, Tahar Sfar est de retour en Tunisie , Habib Bourguiba l’avait précédé d’une année ,ils sont, tous deux, déjà adhérents  depuis les dernières années de leurs études secondaires, comme simples militants au  Parti  dont le programme politique et dont  les idées, du moins celles qui sont exprimées publiquement se rapprochent le plus de leurs propres convictions. Ce parti était connu sous le nom de" Destour" (constitution) il fut crée depuis l'année 1920 par notamment A.Thâalbi.
  C'est une grande aventure à la fois exaltante et douloureuse qui commence pour Tahar Sfar rentrant au pays avec une licence en droit (5 juillet 1928:matières à option sur lesquels il a été interrogé:Droit Public, Droit International Public), deux certificats de littérature et un premier Prix en sciences politiques qui constitue pour lui, selon ses propres termes une sorte: "d'hommage que je rends à tous mes professeurs."
  Il nous dira dans son journal d'exil à Zarzis qu'il souhaite préparer un doctorat ès-sciences juridiques et peut être même un doctorat ès- lettres.  Les contraintes de ses activités politiques et surtout sa mort prématurée en 1942 empêchera la réalisation de ces projets.
 L'étudiant, qui rentre de France pour se mettre au service de son pays n'a nullement la prétention de jouer au héros, il se veut, tout simplement, homme parmi les hommes et continuateur, respectueux et reconnaissant, des efforts de ceux qui l'ont précédé dans la lutte nationale;mais sa devise était celle qu'on fait dire à Térence cet enfant de Carthage du deuxième siècle avant J-C  "rien de ce qui est humain ne m'est étranger".
                         

























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BIOGRAPHIE EXPRESS DE RACHID SFAR.
Rachid Sfar (رشيد صفر), né le 11 septembre 1933 à Mahdia, est un technocrate tunisien qui a été amené à assumer de lourdes responsabilités politiques pendant des périodes difficiles pour son pays .Nommé Premier ministre pour redresser les finances du pays, il sera l'avant-dernier chef de gouvernement du président Habib Bourguiba et sera remercié un mois avant la destitution de ce dernier.Fils de Tahar Sfar, cofondateur avec Habib Bourguiba, Mahmoud El Materi, Bahri Guiga et de M'hamed Bourguiba du Néo-Destour en 1934,
Sa formation.
Rachid Sfar effectue, après des études secondaires dans un collège de Sfax de 1947 à juin 1953, des études supérieures de lettres, de droit et de sciences économiques à Tunis où il compte notamment parmi ses professeurs François Châtelet, professeur de philosophie enseignant à Tunis de 1953 à 1955, Raymond Barre, professeur d'économie politique dont il suit les cours pendant les années de son enseignement en Tunisie, et Jean Ganiage, professeur d'histoire qui le charge en novembre 1956 de faire un exposé sur l'historique du « miracle économique » japonais. La préparation de cet exposé ainsi qu’une conférence présentée par Raymond Barre en janvier 1954 sur la situation de l’économie tunisienne sont à l'origine de son choix définitif porté sur une orientation vers les sciences économiques, les finances publiques et la fiscalité. Rachid Sfar achève ses études à Paris (1958-1959) où il suit plus particulièrement les enseignements de l'École nationale des impôts (section des inspecteurs) relevant du Ministère des Finances et de l’économie.
De 1960 à 1977, il est chargé de hautes fonctions administratives notamment au ministère des Finances dont il sera le directeur général des impôts de 1969-à1970 et le secrétaire général de 1974 à 1977.
Sa carrière politique
Après avoir occupé plusieurs portefeuilles ministériels (Industrie, Défense nationale, Santé publique, Économie nationale et Finances) de 1977 à 1986, Sfar est chargé par Bourguiba des fonctions de Premier ministre, le 8 juillet 1986, pour rétablir les équilibres financiers et économiques du pays1. Il s'efforce alors de restaurer une situation financière dégradée, des réserves en devises épuisées1 et une économie affaiblie. Sous la pression de Bourguiba qui veut reprendre les rennes de son pouvoir et devant la montée du mouvement islamiste, la normalisation de la vie politique et la démocratisation initiées au début des années 1980 ne sont plus la priorité de l'État. Le gouvernement de Sfar hérite du gouvernement précédent Zine el-Abidine Ben Ali, d'abord comme ministre de l'Intérieur, puis avec le titre de ministre d'État. Rachid Sfar est remplacé par Ben Ali à la tête du gouvernement le 2 octobre 1987 dans des conditions restées célèbres : il essuie une colère du président Bourguiba à la fin du Conseil des ministres et devant tous ses collègues Bourguiba déclare ne pas se souvenir d’ avoir autorisé certaines nomination à de hautes responsabilités dont de Abdelmalek Laarif à la direction du Parti socialiste destourien (successeur du Néo-Destour) Mohamed Ghanouchi Secrétaire d’Etat au Plan et en fait porter la responsabilité à son Premier ministre.En réalité Bourguiba était en colère parce que mécontent du jugement relativement modéré prononcé par la Haute Cour présidée par Hachémi Zemmal à l’encontre des dirigeants du Mouvement Islamiste dont il escomptait la peine suprême. De surcroit sa nièce Saida Sassi , conseillée principalement, par Ben Ali lui souffla que son Premier Ministre avait encouragé les deux députés de la Haute cour Abdallah Abbab et Mohamed Mastouri à ne pas voter pour la condamnation à mort des dirigeants islamistes.

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